Bolivie • Accès à la terre • 10 septembre 2018
Les petits producteurs produisent 70% de l’alimentation mondiale avec seulement un quart des terres agricoles sur Terre ! Mais ils continuent à perdre du terrain… Dans ce grand théâtre qu’est l’accaparement de terres, les acteurs et les scénarios forment un méli-mélo déroutant. Lever de rideau sur ce phénomène.
Expulsés de leurs terres, privés de leur ressource première, nombreux sont les petits agriculteurs qui sont victimes d’accaparements de terre. Très alléchantes pour les gros poissons économiques en quête d’investissements porteurs, les conquêtes foncières violent souvent les droits humains. Elles s’exercent dans la plus grande opacité et sans concertation avec les populations locales.
Planter le décor
Concrètement, de quoi s’agit-il ? Il s’agit d’un processus d’acquisition de grandes superficies de terres par des investisseurs puissants ayant conclu des accords avec les États. Ces superficies peuvent aller jusqu’à plusieurs centaines de milliers d’hectares, et plus. Les accords à leurs sujets se font via des contrats d’achat ou de location à long terme (entre 30 et 99 ans) et impliquent des investissements financiers colossaux, ainsi que des expulsions forcées.
Le mythe de la terre inoccupée
Les terres accaparées sont souvent des territoires occupés par des activités agricoles et pastorales. La gestion du foncier est organisée et gérée par des chefs coutumiers qui reconnaissent que tel paysan occupe la terre de ses ancêtres et en est donc propriétaire. Mais l’État ne le considère pas comme tel. Les terres sont donc « disponibles ».
Leur accaparement a pour résultat de priver les populations de leur accès à la terre et aux ressources, toutes nécessaires à leur survie. Si ce phénomène a lieu partout dans le monde, de fortes concentrations ont cependant été recensées en Afrique subsaharienne (45%), ainsi que dans le Pacifique et en Asie de l’Est (24%).
En termes d’ampleur, une étude de l’ONG GRAIN indique qu’entre 2008 et 2016, au moins 491 cas d’accaparement de terres (par des investisseurs étrangers et à destination de cultures alimentaires) ont été recensés dans 78 pays. Ces transactions foncières couvrent à elles seules plus de 30 millions d’hectares ! Néanmoins, elles ne représentent que la partie émergée de l’iceberg.
Un méli-mélo d’acteurs et de motifs
Il existe une multitude de profils d’investisseurs responsables d’accaparements de terres : états étrangers, sociétés agroalimentaires, investisseurs privés, organisations internationales (la Banque Mondiale, par exemple), élites locales (hauts fonctionnaires ou hommes et femmes d’affaires), multinationales, …
On observe certains recoupements dans les cas identifiés. Ainsi, les acteurs japonais, par exemple, investissent beaucoup au nord du Brésil et au Mozambique, alors que l’Inde s’intéresse plutôt à l’Éthiopie. Les sociétés françaises, quant à elles, préfèrent leurs anciennes colonies.
Pourtant, contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce sont davantage le fait de nationaux. Au Sénégal, par exemple, parmi les 17 cas d’accaparement identifiés, 10 sont sénégalais !
Et puis, tous ces acteurs ont des motivations variées. Il y a, par exemple, la sécurisation de l’alimentation de pays en manque d’opportunités agricoles au sein de leurs frontières et faisant face à des explosions démographiques (c’est le cas de la Chine, la Corée du Sud et les Émirats Arabes Unis). Les spéculations foncières, via des fonds d’acquisition toujours plus nombreux, sont d’autres raisons d’accaparements. Enfin, il y a l’utilisation de terres à destination de la production de matières non-consommables pour l’alimentation animale ou les agrocarburants.
Au milieu de cette pièce, les structures offshores jouent également un rôle majeur. Grâce aux financements illicites, il devient difficile de connaître les véritables investisseurs et de leur faire payer les impôts dus. Ce qui rend aussi la quantification du phénomène d’accaparement de terres compliquée. Cependant, les révélations des Panama Papers ont permis de lever le voile sur l’identité de plusieurs grands accapareurs.
Baisser de rideau ?
Pour mettre fin à ce spectacle désolant, de nombreuses résistances s’organisent : protestations, mobilisations et indignations publiques mettent la pression aux « accapareurs ».
À travers le monde, de vastes mouvements de solidarité internationale ont vu le jour. Ils permettent de chercher un soutien auprès des gouvernements, de sécuriser un droit à la terre auprès des populations locales, et de continuer de tenter de mettre fin à toute cette mascarade…
Rédaction : Thaïssa Heuschen, volontaire
EN SAVOIR PLUS
Cet article est tiré du Supporterres n°5 de septembre 2018 « Sans terre, pas de paysans ! » Pour en savoir plus l’accès et l’accaparement de terres, consultez le numéro complet.
Sans terre, pas de paysans !