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Agroécologie : les paysan.ne.s de l’Afrique de l’Ouest n’attendent plus et avancent

Agroécologie • 9 février 2023

3AO est une Alliance pour l’agroécologie en Afrique de l’Ouest, créée en avril 2018 à Dakar au Sénégal par le ROPPA (le Réseau des Organisations paysannes et des Producteurs agricoles de l’Afrique de l’Ouest) et par IPES-Food (le Panel international d’experts sur les systèmes alimentaires durables). En décembre 2022, 3AO a organisé un Forum en Guinée Bissau. Dominique Morel, responsable chez SOS Faim des partenariats au Sénégal et Pap Assane Diop, représentant de SOS Faim au Sénégal, y ont participé.

Lors de son lancement en 2018, 3AO constatait que :

Le secteur agricole représente 35% du Produit intérieur brut et emploie 65% de la population ouest-africaine (…) qu’un des défis majeurs de l’agriculture ouest-africaine demeure sa capacité à assurer une sécurité alimentaire et nutritionnelle durable ainsi que des moyens d’existence résilients pour une population qui avoisine 371 millions de personnes, et qui devrait plus que doubler d’ici 2050.

3AO déplorait que les programmes internationaux promeuvent un modèle industriel, « alors qu’il ne répond pas aux enjeux liés à la dépendance aux importations, à l’adaptation aux changements climatiques, au maintien des ressources naturelles ainsi qu’à une alimentation saine, nutritive et équilibrée pour l’ensemble de la population».

L’agroécologie est dès lors, selon les constats de 3AO, une réponse complète à l’ensemble des défis agricoles ouest-africains, contribuant à la mise en œuvre du Droit à l’Alimentation en proposant de nouvelles bases pour un système alimentaire durable et nutritif.

En 2018, 3AO adoptait sa définition de l’agroécologie :

L’agroécologie n’est ni un créneau réservé aux petits exploitants, ni un label obtenu au vu de certaines pratiques. C’est une logique universelle qui consiste à repenser les systèmes agricoles de manière à̀ maximiser la biodiversité et à stimuler les interactions entre différentes plantes et espèces. C’est une stratégie holistique qui vise à assurer la fertilité des sols au long terme et à garantir la durabilité des agroécosystèmes et des moyens d’existence des agriculteurs qui en dépendent.

Des avancées sur le terrain mais trop peu de politiques concrètes

Où en est-on quatre ans plus tard ? Une déclaration des participants a été prononcée à la fin du Forum 3AO en Guinée Bissau, adressée aux Etats membres de la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest), aux partenaires financiers et aux Organisations paysannes.

Fin 2022, les participants ont constaté que les conflits armés qui ébranlent l’Afrique de l’Ouest ne remettent pas en cause la pertinence de l’agroécologie dans la région. Le besoin de s’extraire de la dépendance des importations alimentaires industrielles sur le continent africain, souligné par la crise Covid puis la guerre en Ukraine, a traversé tous les débats. L’expression partagée de ce besoin d’autonomie pave la voie vers une conscience agroécologique. Présente en 2018 et en 2022, Dominique Morel a observé un cheminement réel des participants sur la question de l’agroécologie comme concept : « Les discussions abordent désormais la question des moyens effectifs d’accélérer la transition », explique-t-elle.

Les expériences partagées lors de l’atelier ont été nombreuses : les pratiques aux champs testées grâce à la recherche action, les champs école-paysan, les paysans relais, les expériences de développement de marchés locaux,  le développement des cantines scolaires et la poussée des centres de formation en agroécologie.

Par contre, côté prise de conscience politique, on est encore loin du compte, selon Dominique Morel :

Si le Burkina – qui a instauré des points focaux agroécologie au sein du ministère de l’agriculture –  et le Sénégal -qui destine 10 % de ses subventions en intrants aux engrais biologiques – font office de pionniers, la majorité des pays d’Afrique de l’Ouest a du mal à présenter des mesures de promotion de l’agroécologie dans les politiques publiques. Néanmoins, la présence au forum des points focaux de la CEDEAO montre un intérêt grandissant du niveau politique régional pour faire avancer la thématique. Côté mobilisation des acteurs, la Dynamique de transition agroécologique au Sénégal, une plateforme nationale travaillant à l’avènement de l’agroécologie,  a été présentée comme un modèle inspirant pour les autres pays, afin qu’ils développent une conscience politique au niveau territorial.

Reste que la progression de l’agroécologie est freinée par plusieurs obstacles : au-delà de la difficulté d’accès à des financements publics, on peut citer la méfiance de certains acteurs du monde paysan à se lancer dans une démarche souvent longue et risquée, la difficulté de contrôle de qualité des produits « agroécologiques », l’ accès aux marchés et la nécessité de conforter la place des systèmes semenciers.

Une frange de la paysannerie semble encore se méfier de l’agroécologie, portée par certains comme la solution miracle. L’intégration de l’agroécologie dans les programmes des Organisations paysannes (OP) de la région n’est donc pas totalement acquise :

Certaines restent très orientées sur des filières marquées par les approches de la révolution verte et ont du mal à voir comment la transition peut s’amorcer. Celles qui s’investissent dans l’agroécologie demandent à être accompagnées, à recevoir un appui technique et financier, car les solutions doivent en permanence être adaptées et cocréées localement et demandent du temps avant de pouvoir concurrencer économiquement les pratiques conventionnelles. Coté formation/vulgarisation, l’université paysanne du ROPPA a été fortement mise en avant comme modèle à soutenir, avec un appui aux dispositifs endogènes paysans.

Les nécessités de consolider l’offre de produits et d’harmoniser la qualité et les prix ont mis en exergue l’enjeu des dispositifs de certification sociale et de traçabilité des produits agroécologiques. Si les systèmes de garantie participative ont été évoqués, ils ne sont actuellement pas en capacité de se rémunérer aux prix du marché :

« Il existe encore très peu de marchés pour les produits « certifiés » agroécologiques en Afrique de l’Ouest, même si l’on remarque une prise de conscience des consommateurs. La commercialisation doit donc être abordée progressivement sous l’angle des marchés locaux ou hebdomadaires, attachés à des territoires, où les produits agroécologiques peuvent avoir plus de visibilité », précise Dominique Morel.

Système semencier paysan

Les participants au Forum 3AO ont également débattu de la nécessité de privilégier des semences paysannes. Ils parlent désormais de système semencier paysan (SSP), y incluant des revendications d’accès aux bio-intrants. Le SSP est défini comme étant opposé au système semencier commercial (SSC) :

Le SSP est un ensemble des connaissances, innovations, pratiques et règles collectivement développées par les paysans, sur la base de leurs us et coutumes et appliquées à la sélection, la production, la conservation, l’utilisation, la garantie de qualité et la mise en circulation, dans leurs réseaux et sur les marchés locaux, des semences issues de leurs champs. Dans ces systèmes paysans, la sélection et la production des semences font partie intégrante de la production agricole.

Au contraire, dans le SSC : 

« la production semencière est distinguée de la production agricole et les variétés doivent être distinctes, homogènes et stables pour être autorisées à la commercialisation.».

L’enjeu de l’accès aux financements des Etats pour mettre en œuvre des programmes d’accompagnement à la transition agroécologique sera crucial pour les 20 prochaines années. Une des pistes évoquées prône de faire du lien entre l’agroécologie et les « financements climat ». Il s’agirait de faciliter l’accès à ces financements,  car ils existent. Malgré les promesses de collaborations régionales et internationales annoncées dans les discours du Forum 3AO, il faudra éviter d’arriver à des interventions cloisonnées du fait d’activités contraintes par des financements limités dans le temps, aux objectifs et modalités d’intervention trop rigides.

Avancer avec tout le monde, les hommes y compris

Last but not least, insiste Dominique Morel :

Les femmes ont une place importante dans la mise en œuvre des pratiques agroécologiques. Ce sont elles qui travaillent traditionnellement dans les périmètres maraichers et dans la production des aliments locaux. Ce sont elles qui transforment artisanalement les produits avant leur commercialisation. Ce sont elles qui se rendent sur les marchés de circuits courts. Il est cependant risqué de trop identifier l’agroécologie au travail des femmes, car c’est l’ensemble de la société, les hommes y compris, qui devrait s’investir dans la transition agroécologique. On en revient au sens du mot holistique compris dans la définition adoptée par 3AO en 2018.

Lire les déclarations finales : ici

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