ACTION POUR UNE INTERDICTION D’EXPORTATIONS DES PESTICIDES INTERDITS
L’agriculteur Paul François a été intoxiqué en France par un produit déjà interdit en Belgique, ne permettons pas que des agriculteurs d’’Afrique et d’Amérique Latine…
Comme chaque année, le 17 avril, c’est la Journée Internationale des Luttes Paysannes. Cette journée commémore un triste événement de l’année 1996 : l’assassinat de 19 paysans brésiliens du “mouvement des travailleurs sans-terre” par des milices paramilitaires. Cette date offre donc l’occasion pour le Réseau de soutien à l’Agriculture Paysanne (RESAP) et ses alliés de dénoncer les impasses du système agro-productiviste, comme le font les sans-terre, et de clamer haut et fort leur soutien aux agriculteur.trices qui proposent des alternatives comme l’agroécologie.
Cette année, c’est à Frameries que la mobilisation s’est tenue. Pourquoi Frameries ? Parce qu’une lutte féroce y est engagée depuis 2 ans contre le projet d’agrandissement d’une usine Clarebout, destinée à produire des tonnes de patates frites surgelées et à les exporter massivement vers les autres continents.
Ce projet d’usine, personne n’en veut. L’infrastructure incommode les habitants, le chantier accaparerait des terres cultivables, la firme exploite les patatiers belges, et ses exportations menacent la survie des producteurs d’Amérique latine.
En ce 18 avril 2021, six voix rassemblées à Frameries se sont donc succédées au micro pour exprimer leur ras-le-bol. Et la résonance de ces six voix le montre mieux que jamais : du plus local au plus global, toutes les luttes convergent lorsqu’il s’agit de combattre les dérives du système agro-industriel d’exportation.
Florence Defourny est la première à prendre la parole. Elle s’exprime au nom du collectiflocal des habitants révoltés de Frameries, “La Nature sans Friture”.
Pour elle, “chaque citoyen doit être acteur dans sa commune, il doit être acteur dans le monde dans lequel il vit. Et notre rôle, aujourd’hui, c’est de dire non à l’agrandissement de cette usine, qui va à l’encontre de nos valeurs”.
De plus, comme observé ailleurs, l’implantation de l’usine provoquerait de nombreux inconvénients supplémentaires pour les habitants, comme c’est déjà le cas à Warneton : mauvaises odeurs, nuisances sonores, pollution des cours d’eau, tâches de graisse sur les voitures du centre du village, prairies inondées tous les hivers, etc.
Le micro est ensuite passé à Bernard Brouckaert, producteur de pommes de terre à la ferme de Moranfayt, près de Dour. Il est le seul des patatiers contactés qui ait osé témoigner publiquement – les autres préférant rester silencieux par crainte des représailles de l’industrie.
Bernard nous confie qu’aujourd’hui, il est de plus en plus difficile pour les producteurs de patates belges de se détourner de la grosse industrie. C’est dramatique, parce que le prix auquel les industries comme Clarebout achètent les patates aux agriculteurs n’est pas un prix justement rémunérateur. Ce prix chute toujours plus bas, sous l’effet de la libéralisation croissante des échanges internationaux, dont les industriels profitent ouvertement.
De plus, les contrats de livraison conclus avec les firmes comme Lutosa ou Clarebout sont scandaleusement défavorables aux agriculteurs.
“Pour l’industrie, on doit produire, un point c’est tout !”. Que la récolte soit bonne ou mauvaise, l’agriculteur est tenu de livrer la quantité exacte de patates au prix exigé. S’il ne parvient pas à produire assez, par exemple en raison des effets du réchauffement climatique, l’industrie lui réclame un dédommagement ! Si en revanche l’agriculteur produit des excédents, l’industrie n’en veut pas… Qu’il se débrouille pour les écouler sur le marché libre, s’il y arrive !
Louis Larock (président du MAP) et Philippe Duvivier (président de la FUGEA) montent ensuite sur l’estrade pour porter la voix de ces deux organisations agricoles qui promeuvent des méthodes durables, non industrielles.
Tous deux réaffirment d’emblée haut et fort que “la plus grande tragédie de cette histoire, c’est que l’expansion de ce modèle agro-industriel empêche le développement d’une agriculture paysanne, plus respectueuse de l’humain et de l’environnement”.
Les firmes comme Clarebout rachètent des terres et encouragent les agriculteurs conventionnels dans leur course à l’expansion. Résultat : les prix du foncier flambent, les terres cultivables se concentrent entre les mains d’une poignée d’agro-industriels et les nouvelles générations d’agriculteurs peinent à trouver un lopin de terre pour se lancer.
Mais il faut bien garder en tête que la Politique Agricole Commune de l’Union européenne nourrit également ce système malsain ! En effet, elle octroie des primes aux agriculteurs, non pas en fonction de la main-d’œuvre employée ou de la qualité écologique ou sanitaire des aliments cultivés, mais bien en proportion du nombre d’hectares cultivés. Les agriculteurs sont donc constamment poussés à racheter toujours plus de terres, et donc à s’entre-dévorer. Dans ce système : plus de place pour les fermes qui tentent d’adopter un modèle plus durable.
Place ensuite à Hélène Capocci d’Entraide et Fraternité, une ONG belge engagée dans la lutte contre les injustices sociales et les traités de libre-échange qui nuisent à la souveraineté alimentaire, à la planète et à l’humain.
Elle nous rappelle que Clarebout est une industrie qui prévoit de produire plus de 2800 tonnes de frites et autres produits transformés par jour, dont 90% sont destinés à être exportés dans le monde entier. Plus généralement, 90% des 3 millions de tonnes de patates transformées en Belgique sont expédiées dans d’autres pays. C’est une aberration complète, d’autant plus que la Belgique importe chaque année près d’1,85 million de tonnes de pommes de terre… Agro-industrie et commerce international sont donc étroitement liés.
Mais Hélène attire tout particulièrement l’attention sur les dangers que représente le projet d’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les pays du Mercosur, actuellement en cours de négociation. La signature de celui-ci soumettrait les agriculteurs européens à la concurrence déloyale d’aliments sud-américains (viande bovine, sucre, volaille…), produits selon des normes sanitaires et environnementales nettement moins exigeantes qu’en Europe.
L’accord ne bénéficierait pas pour autant aux petits producteurs des pays d’Amérique du Sud concernés, car ceux-ci se font écraser par les grands acteurs de l’agro-industrie. Pour le bœuf par exemple, ce sont seulement 3 entreprises (Marfrig, JBS et Minerva) qui se partagent plus de 90% des exportations vers l’Union européenne. Ce renforcement de l’agrobusiness encourage directement l’accaparement des terres paysannes et alimente les conflits liés aux ressources naturelles.
En conclusion “il faut impérativement refuser les modèles agricoles qui sont promus par ce type d’accord de libre-échange, car ils sont nocifs sur le plan social ET écologique. Déforestation massive et augmentation des émissions de gaz à effet de serre : voilà ce que promet l’accord UE-Mercosur pour notre avenir”.
SOS Faim prend ensuite le micro pour relayer la parole de Climaco Cardenas, le président de la Convention nationale de l’agriculture du Pérou (CONVEAGRO).
Car à côté du projet UE-Mercosur, un autre accord de libre-échange a été conclu entre l’Union européenne et le Pérou, la Colombie et l’Équateur. Depuis son entrée en vigueur provisoire en 2013, 26.000 tonnes de pommes de terre frites surgelées ont été exportées d’Europe chaque année, soit trois fois plus qu’avant l’accord. Les effets de ces exportations inquiètent les petits producteurs de patates péruviens. La concurrence de ces produits industriels lourdement subventionnés par l’Union européenne rend de plus en plus difficile la vente de leurs propres produits à un prix suffisamment rémunérateur. Résultat : la pauvreté et la faim menacent d’augmenter dans les campagnes.
“Au nom des 2,2 millions de familles de petits producteurs du Pérou, nous voulons rappeler à nos frères du continent européen que ces accords de libre-échange dévastent l’agriculture familiale de notre pays. Pour cette raison, nous, CONVEAGRO, decimos basta !”.
Les prises de parole se clôturent avec Ulrich Jasper, de la Coordination européenne Via Campesina (ECVC). La Via Campesina est aujourd’hui le plus grand mouvement paysan actif à l’échelle mondiale.
Pour Ulrich, les voix qui s’élèvent contre Clarebout témoignent des défis communs auxquels font face les paysans du monde, qu’ils soient issus du Nord ou du Sud. Problèmes d’accès à la terre, concurrence féroce de l’agro-industrie, abandon politique : les paysans et citoyens du XXIe siècle n’ont aujourd’hui plus d’autre choix que de faire front commun.
“C’est ensemble qu’il faut combattre l’isolement que les paysans vivent dans leur ferme. C’est ensemble qu’il faut réclamer des politiques agricoles qui soient justes pour tout le monde !”, réaffirme Ulrich.
Car les alternatives au modèle agro-industriel d’exportation sont nombreuses. Le principe de souveraineté alimentaire doit aujourd’hui guider notre avenir vers des systèmes de production agroécologiques et une agriculture affranchie du libre-échange. C’est la seule manière de faire évoluer notre société vers un modèle respectueux de l’humain et de l’environnement.
Le bilan de ce 18 avril 2021 est donc très clair. Six voix se sont élevées à Frameries contre Clarebout pour exprimer un message commun : ce modèle agro-industriel d’exportation incarné par Clarebout va contre l’intérêt du plus grand nombre, pour ne servir qu’une poignée d’acteurs industriels et financiers ! Mieux que jamais, la résonance de ces six voix démontre que, du local au global, les luttes convergent. Porteuse de nouveaux ralliements, la mobilisation contre Clarebout continuera donc de plus belle !
Rédaction: Floriane Étienne