Glyphosate : la fin du célèbre herbicide de Monsanto ?
Le 29 juin dernier, à la veille de l’expiration de la licence de vente du glyphosate, la Commission prenait la décision de la prolonger temporairement pour 18 mois. Après des mois de discussions infructueuses entre les états membres de l’Union Européenne, la Commission était dans l’obligation de trancher seule pour éviter qu’un vide décisionnel ne conduise à une interdiction de fait du glyphosate, massivement utilisé par les agriculteurs. Retour sur une polémique qui a fait trembler les multinationales de la biotechnologie…
L’histoire commence en 1974. L’entreprise américaine Monsanto, commercialise pour la première fois ce qui deviendra par la suite son produit phare : le tristement célèbre herbicide Roundup® dont le glyphosate est la substance active.
Depuis, le développement de cultures OGM, nécessairement associées à l’herbicide et la licence de Monsanto tombée dans le domaine public en 2000, ont accéléré la généralisation de son utilisation. Actuellement en Europe, plus de 40 sociétés différentes proposent plus de 2000 produits contenant du glyphosate. Et loin de s’arrêter aux bordures des champs, l’herbicide est utilisé à la campagne comme à la ville : en sylviculture, sur les pâturages, les voies ferrées, dans les rues, parcs ou jardins privés… Aujourd’hui, le glyphosate représente 25% du marché mondial des herbicides.
Pierre angulaire du modèle agricole industriel
Le glyphosate serait-il devenu indispensable ? Son utilisation massive depuis les années 70 lui a, en tout cas, permis de devenir le symbole, sinon la pierre angulaire, de tout un modèle agricole promu par le secteur de la biotechnologie et les industries chimiques. Le principal syndicat d’agriculteurs européen, la COPA-COGECA, estime qu’il n’existe pas à l’heure actuelle d’alternative viable pour les agriculteurs, rajoutant que sans le glyphosate «les conditions de vie des agriculteurs seraient menacées et la production alimentaire compromise».
Pendant ce temps, les cris d’alerte du monde scientifiques et de nombreuses associations sur les probables conséquences environnementales du glyphosate ne sont que très rarement entendus, que ça soit à propos de la baisse de la biodiversité sur les terres agricoles, la contamination des eaux ou les perturbations dans la chimie des sols.
Cancérigène probable pour l’OMS
Ce ne sont pourtant pas les possibles conséquences écologiques du glyphosate qui, ces derniers mois, ont agité les milieux scientifiques et les instances européennes, mais ses incidences sur la santé humaine. Alors qu’avant le 30 juin dernier, la Commission devait statuer sur la prolongation de la licence de vente du glyphosate et que d’habitude dans ce genre d’acte d’exécution, un discret comité statue dans l’indifférence générale, une publication scientifique a mis le feu aux poudres.
Le 20 mars 2015, une agence de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) publie dans la revue The Lancet Oncology une étude qui classe le glyphosate comme cancérogène probable pour l’homme notamment pour risque accru de de cancer du sang pour les agriculteurs et jardiniers exposés. Le classement « cancérogène probable » est le dernier échelon avant « cancérogène certain ».
Les avis du CIRC sont purement informatifs et non aucune valeur réglementaire. Ils ne conduisent en aucun cas à l’interdiction ou à la régulation d’une substance. Reste que les avis du CIRC bénéficient d’un niveau de reconnaissance certain dans la communauté scientifique… et souvent, du rejet des industriels. Ce fut le cas en l’espèce. Les responsables de Monsanto en tête qui qualifièrent alors de « science poubelle » ce dernier avis du CIRC.
…ou risque cancérogène improbable pour l’Union Européenne
Au niveau européen, c’est l’Autorité Européenne de Sécurité des Aliments (AESA), l’une des principales agences de l’Union Européenne, qui est chargée de l’évaluation des risques en matière de denrées alimentaires. Pour conduire l’évaluation des risques liés aux pesticides, l’AESA désigne un état rapporteur. Dans le cas du glyphosate, c’est l’agence allemande, le Bundesinstitut für Risikobewertung (BfR), qui fut désignée.
Le 12 novembre, l’AESA publie un rapport contradictoire à celui du CIRC censé éclairer la Commission. Elle juge pour sa part comme « improbable » le risque cancérogène du glyphosate, donnant ainsi son feu vert à sa prolongation. Face à ce dernier avis, la contre-attaque s’organise : une pétition recueille plus de 2 millions de signatures , des plaintes sont déposées par des ONGs et associations contre Monsanto et l’AESA …
Manque de rigueur scientifique, transparence, influence des lobbies : l’opinion s’alarme
Le 19 janvier 2016, un groupe d’euro-députés des Verts, parmi lequel sont présents M. Bart Staes et M. Philippe Lamberts, publie un communiqué où est tout d’abord dénoncé le manque de rigueur scientifique de l’étude de l’AESA, une étude « non-publiée dans [son] intégralité » et qui n’a « pas été revue par les pairs comme il est coutume de le faire dans le milieu scientifique ».
Mais plus grave, les députés pointent également « la non-transparence la plus totale » de l’AESA. «Certains experts qui ont conseillé l’AESA, dans le cadre de l’évaluation du glyphosate, n’ont pas rempli leur déclaration de conflits d’intérêts. » L’exécutif européen marcherait de pair avec « le lobby de l’agrochimie » ? L’association bruxelloise Corporate europe observatory (CEO) souligne en tout cas que le groupe d’experts sur les résidus de pesticides du BfR, chargé de mener l’étude sur le glyphosate au nom de l’AESA, accueille des scientifiques également employés par Bayer, BASF ou Eurofins soit autant de groupes ayant des intérêts dans l’agrochimie .
Les Etats membres tergiversent
Le 8 mars, face à la pression de la société civile et à défaut d’une majorité qualifiée , la Commission européenne reporte une première fois le vote portant sur le prolongation sur 15 ans de l’autorisation de vente glyphosate.
L’OMS a entre-temps retourné sa veste. Une autre de ces agences, en double tutelle avec l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (Food and Agriculture Organisation en anglais, FAO), le Joint Meeting on Pesticide Residues (JMPR) publie le 16 mai un résumé d’une recherche scientifique non encore publiée à l’époque. Il est cette fois-ci estimé comme « peu probable que le glyphosate provoque un risque cancérogène chez les humains qui y seraient exposés par l’alimentation ». Ce revirement est justifié par l’OMS par le fait que cette seconde publication portait cette fois-ci sur les risques liés à une ingestion limitée de glyphosate.
Mais encore une fois, Greenpeace dénoncera les conflits d’intérêts probables de certains experts impliqués dans l’étude, en soulignant les liens des président et vice-président du groupe assemblé par le JMPR aves les grands groupes producteurs industriels producteurs de glyphosate. D’autant que la publication a étrangement lieu à quelques jours du second vote…
La mobilisation toujours plus importante de l’opinion publique et les divergences au sein des gouvernements entre pro et anti-glyphosate empêcheront à nouveau de trouver une majorité qualifiée lors du deuxième puis du troisième vote, le 18 mai et le 6 juin. Et ce, malgré la réduction de la durée de la prolongation de l’autorisation de 15 ans à seulement 18 mois. Les vingt pays ayant votés pour la prolongation temporaire de l’autorisation, ne représentent que 52% de la population de l’Union, loin des 65% nécessaires pour former une majorité qualifiée .
La Commission tranche
Pour le quatrième et dernier vote, le 24 juin, la Commission a réduit sa proposition initiale à une prolongation temporaire avec interdiction de certains adjuvants et des restrictions dans l’utilisation (autour des parcs et jardins, avant la moisson). L’abstention de sept pays bloquera encore toute décision.
Dans ce genre de cas, c’est la Commission qui est appelée à trancher seule. Une situation favorable aux gouvernements des pays membres qui se délestent ainsi du fardeau politique que constitue la remise en circulation du produit et une situation très délicate pour la Commission. Elle devait dès lors trancher entre retrouver du crédit auprès des agriculteurs ou répondre aux campagnes d’opinions qui dénoncent les agissements des technocrates bruxellois et la main-mise des lobbys sur ces décisions.
Elle a finalement décidé de ne pas mettre le feux aux campagnes, déjà passablement chauffées ces derniers mois notamment par la crise qui a suivi la fin des quotas laitiers, en prolongeant de 18 mois l’homologation. Le temps pour qu’une autre de ces agences, l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) – notamment chargée de la réglementation européenne sur les substances de synthèse – se prononce sur les dangers liés à l’herbicide. Le temps aussi d’alimenter de nouvelles polémiques…
Affaire à suivre
«Je suis sûr que beaucoup décriront [la décision de la Commission] comme une victoire pour notre industrie», a commenté M.Graeme Taylor, porte-parole d’un groupe de producteurs européens de produits phytosanitaires dont Monsanto, Bayer ou Dow… Pourtant, l’industrie se dit «déçue», dénonçant notamment la politisation du processus.
Ce que les citoyens européens souhaitent, c’est justement que la Commission prenne une décision politique courageuse à l’encontre des intérêts économiques des grands groupes. Jamais la pression n’aura été aussi forte sur les instances européennes et les géants de l’agrochimie pour réclamer la fin du glyphosate et par là un changement de modèle agricole. C’est qui est désormais attendu de la Commission, ce n’est pas seulement d’acter la fin de l’herbicide mais aussi de proposer une autre voie pour aider les agriculteurs à s’en passer et trouver un modèle plus respectueux d’un point vue environnemental et moins dangereux pour la santé de ceux qu’elle représente. A défaut, la défiance des citoyens européens à l’égard de leurs institutions et les phénomènes incitants aux replis nationaux risquent encore un peu plus de s’accentuer…