Adopter l’agroécologie pour cultiver et manger plus sain
Le lendemain de notre arrivée, nous empruntons l’une des grandes routes du pays, direction plein Nord, jusqu’à Podor, à la frontière mauritanienne. Au bord du…
15 avril 2020. Aujourd’hui, le monde est victime d’une nouvelle épidémie meurtrière, aux conséquences potentiellement dramatiques en termes d’alimentation. L’Éthiopie redoute une nouvelle crise alimentaire et pour cause : deuxième pays africain par le nombre d’habitants, elle craint que l’offre agricole ne satisfasse plus la demande. Le Conseil des ministres vient de déclarer l’état d’urgence.
Interrogés sur la crise que vit le pays, Sorsa Debela, assistant technique de SOS Faim ainsi que Amsalu Alemayehu et Teshome Dayesso, directeurs généraux respectivement de Wasasa d’une part et de Buusaa Gonofaa d’autre part, deux institutions de microfinance, tous trois décrivent un pays souffrant au gré des événements.
La crise économique et la famine des années 1980 restent gravées dans les esprits. Mais la modernité et le progrès ont changé son destin : l’Éthiopie a longtemps connu l’une des plus fortes croissances au monde. Économique mais aussi démographique. Et pour répondre à cette pression inédite, le Gouvernement prône depuis vingt ans la « Révolution verte », axée sur le recours massif aux produits chimiques. Selon le Ministère de l’Agriculture, l’Éthiopie est de plus en plus dépendante des intrants conventionnels, des semences améliorées et des pesticides d’importation. C’est d’ailleurs un enjeu actuel majeur : si un arrêt des transports ou une diminution du commerce international s’imposait, les agriculteurs sauraient-ils produire sans engrais chimiques ?
Le constat est sans appel : sans herbicides et pesticides, pas de production. Et sans production, pas de pouvoir d’achat. Ainsi, si le Covid-19 parvenait à fragiliser la chaîne d’approvisionnement, les temps seraient durs : le prix des biens primaires grimperait et la consommation chuterait. Les campagnes seraient touchées en premier : la plupart des paysans ne possèdent que des petites parcelles, 0,9 hectare en moyenne pour 12 millions d’habitants, dont la productivité n’est pas toujours au rendez-vous. Il s’agit pour la plupart de cultures pluviales, ce qui se heurte à la sécheresse chronique marquant le pays. Et pour couronner le tout, l’Éthiopie se remet à peine d’une invasion de locustes : des insectes voraces, qui ravagent les champs et menacent, ainsi, les moyens de subsistance.
Un cercle vicieux difficile à briser, d’autant plus que la crise sanitaire oblige à la fermeture des marchés et à la distanciation sociale. Enfin, le plus souvent, le petit agriculteur vit dans des zones reculées du pays, ignorant ce qui se passe en dehors des frontières ; et avec un accès difficile à l’eau, comment se laver correctement les mains ?
Les exportations ont chuté, c’est le cas du café. À présent, à l’inverse, le Gouvernement salue l’idée d’une importation massive de biens primaires (notamment le blé d’Afrique du Sud) et l’aménagement d’espaces de stockage. Mais tout ceci n’est qu’une réponse à court terme. « Cela ne suffira pas », insiste Amsalu Alemayehu, « il faudra des partenariats avec des organisations ayant des objectifs de développement : cela permettra aux agriculteurs de résister à de tels chocs ».
Le risque d’insécurité alimentaire est réel et invite à repenser les marchés et le système de distribution. Cette crise met en lumière les limites de nos systèmes alimentaires. « Les importations nourrissent la population urbaine alors que certaines régions ont un excédent de production », constate Teshomé Dayesso. Ce risque invite également à appuyer la transformation agricole et à faciliter les prêts. En Éthiopie, les institutions de microfinance, avec les activités non productives, constituent un levier essentiel dans la lutte contre la pauvreté. La campagne agricole venant de démarrer, il est urgent d’armer les paysans pour qu’ils puissent relever les défis à l’horizon : la récolte, l’exode urbain, l’accès à l’information. Il est également important de supporter, aussi bien sur le plan technique qu’économique, la création de coopératives d’agriculteurs : centraliser la demande en intrants et semences profiterait à toute la chaîne de valeur, du producteur au consommateur.
Mais le gouvernement n’envisage toujours pas le virage vers des semences locales, des composts ou des intrants alternatifs. À Addis Abeba « les dirigeants ne croient pas à l’agroécologie », déplore Sorsa Debela « mais après une telle crise, je pense qu’ils comprendront : cela pourrait aider à résister au défi imposé par la dépendance aux pratiques externes ».
Le Covid-19 montre l’urgence de rebâtir une indépendance agricole capable d’assurer la souveraineté et la sécurité alimentaire des populations. À l’abri de la faim, l’Éthiopie saura revivre de ses cendres, une fois de plus.
Rédactrice : Dieyenaba Faye
Citation centrale : Selon la Commission nationale de gestion des risques des catastrophes, 30 millions d’éthiopiens nécessitent désormais un aide humanitaire et alimentaire d’urgence.